NAMIBIE

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NAMIBIE

L’indépendance de la Namibie, proclamée en 1990, a mis fin au cas de décolonisation le plus complexe de la seconde moitié du XXe siècle. Une décolonisation finalement réussie, qui est l’aboutissement paradoxal d’une histoire particulièrement agitée et longtemps présentée comme le signe de l’impuissance des Nations unies.

L’ancien territoire du Sud-Ouest africain (South West Africa), devenu officiellement Namibie en 1966, présente les traits caractéristiques des espaces coloniaux subsahariens façonnés au XIXe siècle: vaste étendue et faible population, sous-développement économique mais points d’intérêt pour les investissements étrangers.

L’actuelle république de Namibie s’étend sur 825 000 kilomètres carrés (soit les deux tiers de la superficie de la république d’Afrique du Sud). Le climat est dans l’ensemble aride, les neuf dixièmes du territoire étant désertiques. La population totale s’élevait en 1993 à environ 1 600 000 habitants, dont 95 000 dans la capitale Windhoek. Très composite du point de vue ethnique, cette population est christianisée à 80 p. 100.

Cet immense territoire comprend des régions géographiques assez différenciées. Le désert du Namib et la «côte des squelettes», sur les 1 300 kilomètres de la façade atlantique, font écran à la zone réputée fertile des plateaux de l’intérieur; au nord s’étalent d’immenses plaines sablonneuses qui jouxtent l’Angola et, par la bande de Caprivi Zitfeld, la Zambie. À l’est et au sud, des frontières quasi rectilignes séparent la Namibie du Botswana et de l’Afrique du Sud. Le désert broussailleux du Kalahari, où vivent toujours quelques milliers de Bochimans, premiers habitants de l’Afrique australe, occupe une bonne partie de ces espaces vides, mais non dépourvus à certaine époque d’intérêt stratégique et géopolitique.

Dès 1946, l’Organisation des nations unies est saisie de la question du statut international du Sud-Ouest africain. Durant quarante ans, cette question défraie la chronique de l’O.N.U. dans toutes ses institutions principales (Assemblée générale, Conseil de sécurité, Cour internationale de justice, Conseil de tutelle, Secrétariat général). Le problème se révèle d’autant plus complexe qu’il est plus ou moins lié à la question spécifique du régime politique sud-africain et de l’apartheid. Ni l’accumulation des textes juridiques et politiques (résolutions, avis, arrêts) par les différentes instances de l’O.N.U., ni la lutte armée lancée à partir de 1966 par le mouvement de libération nationale, l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (S.W.A.P.O.) ne permettent de dégager un début de solution.

C’est seulement au tournant des années 1980 que s’esquisse une ouverture diplomatique. Vingt ans après que l’Assemblée générale des Nations unies eut proclamé le droit du Sud-Ouest africain à l’indépendance, la république d’Afrique du Sud admet le principe de l’autodétermination pour cette Namibie qu’elle traitait pratiquement comme sa «cinquième province», et qu’elle avait envisagé à certain moment d’annexer purement et simplement.

La résolution 435, adoptée en 1978 par le Conseil de sécurité, et acceptée en principe par l’Afrique du Sud, semblait annoncer la prochaine création d’un État souverain de Namibie. Il faudra cependant attendre encore plus d’une décennie pour y parvenir, grâce aux accords d’août-décembre 1988 conclus à Genève, Brazzaville et New York sous l’impulsion des États-Unis et de l’U.R.S.S. bien décidés à mettre un terme à cet interminable et dangereux «conflit régional» en donnant effectivité au processus d’indépendance organisé par cette résolution de 1978.

C’est tout cet arrière-plan d’histoire coloniale et diplomatique ambiguë qui, par-delà les problèmes d’ordre économique et politique internes, caractérise la toute nouvelle république de Namibie.

1. Une société multinationale

Le passé colonial de la Namibie est bref (un siècle), mais mouvementé. Ce pays, presque inconnu au XIXe siècle, est pénétré d’abord par des missionnaires, notamment ceux de la mission protestante rhénane, suivis de marchands allemands. C’est l’un d’eux (A. Lüderitz) qui pose les premiers jalons de la conquête aboutissant, en 1884, à l’établissement d’un protectorat allemand. Mais jusqu’en 1907 persiste l’agitation de tribus autochtones, Ovambos et surtout Hereros, contre lesquelles le général von Trotha devait lancer son fameux ordre d’extermination (Vernichtstungbefehl ): «N’épargnez aucun homme, aucune femme, aucun enfant, tuez-les tous.» En 1914, le général sud-africain Botha envahit le territoire à la demande de Londres et obtient la reddition allemande. C’est cette région, alors «Bothaland», que la Société des Nations attribuera en 1920 à l’Union sud-africaine en tant que territoire sous mandat, appelé Sud-Ouest africain, à charge d’y poursuivre une «mission sacrée de civilisation».

Ce rappel sommaire d’histoire coloniale ne rend toutefois pas compte de la complexité des structures sociologiques et économiques d’un pays qui occupe 3 p. 100 de la superficie totale du continent africain et abrite moins de 0,2 p. 100 de sa population. On distingue quatre grands groupes ethniques. Les Khoisans, qui se subdivisent en Bochimans (Bushmen ), Damaras et Namas-Hottentots, sont les survivants des populations aborigènes. Les Bantous comprennent une dizaine de tribus bien distinctes parmi lesquelles figurent les Kavangos, les Hereros et surtout les Ovambos qui constituent à eux seuls la moitié de la population africaine de Namibie. Installée dans le nord du pays, région de loin la plus peuplée, l’ethnie ovambo est elle-même compartimentée en sept tribus autonomes (Kwanyamas, Ndongas...) et en clans particularistes. Ce sont les Ovambos qui étaient les plus nombreux dans la S.W.A.P.O. Les sang-mêlé regroupent plusieurs communautés issues de métissages divers au cours de l’histoire (les Oorlams, les Rehobothers ou Bastards, les métis émigrés d’Afrique du Sud). Enfin, le groupe européen (environ 120 000 personnes, soit 7,5 p. 100 de la population totale) se répartit en Afrikaners (75 000), anglophones (10 000) et une solide communauté de souche allemande (20 000) qui a gardé sa langue et ses traditions. Cet aspect multiculturel et pluriethnique explique les débats constitutionnels sur certains points chauds, notamment sur l’adoption de l’anglais comme langue officielle de la république, alors que les Namibiens parlent tous l’afrikaans dans la vie quotidienne.

Le navigateur portugais Diego Cão plantait en 1484 la première croix chrétienne en Namibie, à Cape Cross. C’est seulement quatre siècles plus tard que l’évangélisation devait se répandre avec l’arrivée des différentes églises missionnaires. Longtemps alliées au colonisateur, les Églises namibiennes ont développé, pour la plupart depuis les années 1960 surtout, une véritable théologie de la libération et soutenaient l’objectif de l’indépendance. Les quelque 80 p. 100 de chrétiens namibiens se répartissent en luthériens (40 p. 100), catholiques (19 p. 100), réformés hollandais (9 p. 100) et autres confessions (anglicans, presbytériens, etc.).

2. L’intégration à l’Afrique du Sud

En vertu du mandat qu’elle détenait de la Société des Nations, l’Afrique du Sud pouvait administrer cette région comme «partie intégrante de son territoire», sauf à respecter les termes du mandat et à se soumettre au contrôle international. Durant un demi-siècle (1920-1970), elle a procédé à une annexion de facto sur le plan économique comme sur le plan administratif et politique.

L’intégration économique

L’économie de la Namibie est une économie totalement extravertie et donc fragile. En 1986, le P.N.B. moyen par habitant était estimé à 1 020 dollars. C’est aussi une économie qui a été et demeure encore largement intégrée à celle de la république d’Afrique du Sud tant par les débouchés que par les moyens financiers. Pretoria, qui y a effectivement beaucoup investi, estime alors que ce territoire est devenu un fardeau sinon un gouffre pour l’Afrique du Sud, et s’en déchargerait volontiers.

L’agriculture, qui constitue 17 p. 100 du produit intérieur brut, l’élevage (bovins et moutons), la forêt et la pêche hauturière forment le premier élément d’une économie bipolaire: économie traditionnelle de subsistance chez les non-Blancs et agriculture hautement mécanisée chez les quelque 6 000 fermiers blancs installés sur de très grandes propriétés (de 10 000 à 30 000 ha). Le second élément est constitué par les industries extractives (40 p. 100 du P.I.B.). La Namibie est le troisième producteur mondial de diamants après l’Afrique du Sud et l’ex-U.R.S.S. À Rossing se trouve la plus grande mine à ciel ouvert d’uranium du monde, avec des réserves estimées à 100 000 tonnes. La Namibie recèle aussi toute une gamme de métaux communs (cuivre, plomb, zinc) et autres minerais utilisés dans l’industrie atomique. L’épuisement à terme (vers les années 2010?) de ces ressources minérales serait, dit-on, compensé par la découverte d’importants gisements de pétrole et de gaz naturel offshore. Compte tenu de l’évolution des cours mondiaux des matières premières, l’économie de la Namibie reste fragile. Le secteur tertiaire y occupe d’ailleurs une place démesurée.

La répartition très inégale des terres entre Africains et Blancs (14 p. 100 de la population détenant 58 p. 100 des surfaces) préoccupe les gouvernants de Pretoria qui s’efforcent de procéder à un rachat graduel de ces terres de colonisation au profit des ethnies bantoues. Celles-ci disposent dans le Nord (Ovamboland) de terres exclusives, mais la «zone de police», où les non-Blancs n’ont pas le droit de s’installer en dehors de quelques réserves indigènes, couvre la majeure partie du territoire. Même si les terres occupées par les Blancs n’étaient pas au départ, comme on l’a soutenu, les plus fertiles, elles le sont devenues par une mise en valeur intensive.

En 1964, le gouvernement sud-africain lançait le plan de développement très ambitieux recommandé par la commission Odendaal. Il s’agissait de moderniser le secteur agricole et de décloisonner le territoire pour créer cette «tierce Afrique» australe dont la puissance économique attractive aurait compensé les mauvais effets de l’apartheid introduit dans les années 1960 (avant d’être supprimé à partir de 1977). Il ne semble pas que les objectifs de la commission Odendaal aient été atteints. En revanche, tout un secteur routier a été construit au cours de ces dernières années pour des raisons stratégiques.

Intégration administrative et politique

À deux reprises déjà (en 1925 et en 1949), le Parlement sud-africain avait rapproché le régime administratif de ce territoire sous mandat international du régime des quatre autres provinces de l’Union sud-africaine. Les lois votées en 1968-1969 faisaient en fait du Sud-Ouest africain la cinquième province de la république. L’identité des structures y est alors totale. Le territoire est dirigé par un comité exécutif émanant d’une Assemblée législative (18 membres élus) dont les compétences sont limitativement énumérées, les décisions principales étant réservées à l’approbation des autorités centrales de la république. Parallèlement, six députés et deux sénateurs représentent la «province» au Parlement de la république.

L’intégration politique est réalisée sur le plan des partis politiques blancs (le Parti national est dominant au Sud-Ouest africain) et de la législation raciale, toutes les lois d’apartheid y étant appliquées. En 1968, enfin, la politique des bantoustans y est introduite et le «fait tribal» officialisé. On prévoit un découpage géographique de six foyers bantous dirigés par des organes exclusivement africains. En octobre 1968, l’Ovamboland est doté d’un Conseil législatif africain, et sept «autorités tribales», correspondant aux sept tribus de cette ethnie, sont instituées.

On notera aussi, après une période d’«afrikanérisation» poussée dans les années 1950-1960, la réhabilitation de la culture et de la langue allemandes; bien que non officielle, la langue allemande est depuis 1969 l’une des trois langues nationales du territoire (avec l’afrikaans et l’anglais) et retrouve une place de choix dans la vie administrative et dans les programmes scolaires.

Ces tentatives d’intégration ont pris fin vers 1970 au profit d’une nouvelle politique visant à «organiser» l’indépendance. Mais, par la force des choses, la république de Namibie maintient des rapports étroits, économiques et administratifs, avec son «grand voisin».

3. Évolution vers l’indépendance

Dès la création de l’O.N.U. est posé le problème du Sud-Ouest africain. C’est au départ un problème strictement juridique que l’on peut ramener à la question suivante: l’Afrique du Sud, qui détenait le mandat sur ce territoire en vertu du Pacte de la Société des Nations (1920-1940), a-t-elle ou non l’obligation juridique de transformer ce mandat en un système de territoire sous tutelle désormais prévu par la Charte des Nations unies adoptée en 1945? En refusant cette transformation, l’Afrique du Sud se libère de tout contrôle international. Elle est précisément à cette date le seul État titulaire d’un mandat de l’ex-S.D.N. à refuser cette transformation juridique. Sollicitée pour avis, la Cour internationale de justice donne raison (avis de 1950) à l’Afrique du Sud, mais en spécifiant l’obligation pour elle d’accepter un contrôle international (avis de 1955 et 1956). Ce sera un dialogue de sourds: au refus persistant de l’Afrique du Sud d’accepter, sauf en deux occasions, des missions d’enquête et d’adresser des rapports à l’O.N.U., celle-ci répond en multipliant les résolutions et les comités spécialisés. Au point que la plupart des organes de l’O.N.U., et surtout le Comité de décolonisation, ont eu l’occasion de condamner – mais sans succès – l’Afrique du Sud sur les questions de l’apartheid et du Sud-Ouest africain. Dès 1961, une résolution de l’Assemblée générale de l’O.N.U. proclamait le droit à l’indépendance de ce territoire.

L’affaire devient plus sérieuse lorsqu’en 1960 la Cour internationale est saisie pour juger, par un arrêt, la légalité du maintien du mandat et l’ensemble de la politique d’apartheid au regard du droit international. Après s’être déclarée compétente (arrêt de 1962) malgré les exceptions soulevées par l’Afrique du Sud, la Cour de La Haye rejette au fond, par son arrêt du 18 juillet 1966, la requête introduite par l’Éthiopie et le Liberia (8 voix contre 7). Dans cette affaire hautement politisée, l’excès de juridisme (?) de la Cour aboutissait à une victoire – inattendue – pour l’Afrique du Sud et soulevait une émotion considérable dans le Tiers Monde.

Les réactions immédiates ont rendu l’affaire encore plus compliquée. En décembre 1966, l’Assemblée générale de l’O.N.U. «révoque le mandat de l’Afrique du Sud» et confie l’administration de la nouvelle Namibie à un Conseil spécial, créé en avril 1967 par une résolution où l’on note l’abstention des quatre Grands «occidentaux». L’indépendance fixée un peu légèrement à juin 1968 n’est plus qu’une chimère et l’Assemblée générale se décharge de l’affaire sur le Conseil de sécurité. Celui-ci ordonne en 1969 le «retrait immédiat» de l’Afrique du Sud (avant le 4 octobre 1969), réitère cet ordre en janvier 1970 et recommande l’embargo et la rupture des relations diplomatiques.

En fait, il ne se passe strictement rien. Devant cette inertie totale, on en revient, vingt ans après, à la voie plus anodine de l’avis consultatif auprès de la Cour internationale: en août 1970, le Conseil de sécurité sollicite la Cour d’un avis sur les conséquences juridiques du maintien de la présence sud-africaine en Namibie. La Cour, une fois de plus, se trouve embarrassée, car l’affaire est désormais moins une question de droit qu’un problème de rapport de forces. De fait, l’avis rendu par la Cour en juin 1971 et déclarant, par 13 voix contre 2, illégale l’«occupation» de la Namibie par la république d’Afrique du Sud a un fondement beaucoup plus politique que juridique. Il ne résoudra rien. Pour sa part, le Premier ministre sud-africain de l’époque, John Vorster, fait savoir que son gouvernement rejette l’avis.

Négociations et tractations en vue de l’indépendance

L’échec définitif d’un règlement judiciaire conduit naturellement à une relance politique de ce qui devient désormais l’«affaire» de Namibie, c’est-à-dire un problème typiquement colonial qu’il faut résoudre à tout prix, y compris, si c’est nécessaire, par la force. Les premières discussions sur une éventuelle indépendance en 1970 tournent court. C’est à partir de 1976 que s’opère un début de clarification au travers d’événements multiples et contradictoires qui font repousser d’année en année l’échéance prévue et parfois annoncée. Quatre données à la fois complémentaires et concurrentes contribuent à cette évolution. C’est d’abord la promotion de la S.W.A.P.O. au rang de principal mouvement de libération, reconnu dès 1973 par l’O.N.U. et l’O.U.A. comme représentant authentique et unique du peuple namibien. Cette organisation, dirigée par Sam Nujoma, a lancé la lutte armée en 1966. Elle a connu des dissensions internes (en 1978 encore, avec la création d’une S.W.A.P.O.-D.). Dominée par l’ethnie ovambo, majoritaire dans le pays, elle a eu aussi des rapports conflictuels avec d’autres mouvements de résistance (S.W.A.N.U., S.W.A.U.N.I.O., etc.) installés sur le territoire ou en exil à l’étranger, ainsi qu’avec les partis d’ethnies minoritaires qui refusent la violence. En obtenant son accréditation auprès des organisations internationales et en développant dans le sud de l’Angola des bases logistiques, la S.W.A.P.O. se présente comme le seul «interlocuteur valable» ayant un programme constitutionnel et politique pour le futur État namibien. Mais, pour l’Afrique du Sud, qui n’admet pas cette prétention à l’exclusivité de la représentation, la S.W.A.P.O. demeure avant tout l’adversaire armé et révolutionnaire, plus ou moins manipulé par des forces communistes.

Le durcissement constant des relations entre l’O.N.U. et Pretoria, après un bref essai de pourparlers en 1972-1973, fige dangereusement les positions respectives. Le Conseil pour la Namibie, créé par l’O.N.U. en 1967, n’avait pas les moyens d’exercer sa mission sur un territoire où il était en fait interdit de séjour depuis quinze ans! Mais l’obtention par la S.W.A.P.O. d’un statut d’observateur dans diverses organisations internationales et l’admission de la Namibie au titre de membre à part entière dans certaines institutions spécialisées (F.A.O. en 1977, O.I.T. en 1978) sont le signe d’une volonté de «reconnaissance» de facto de la Namibie par une grande majorité d’États. Pour sa part, le Conseil de sécurité multiplie les résolutions comminatoires. Après avoir affirmé dès 1972 le «droit inaliénable à l’indépendance» et le droit au «respect de l’intégrité territoriale» de la Namibie, il demande pour la première fois en janvier 1976 (résolution 385) que des «élections libres soient organisées aussitôt que possible sous la surveillance et sous le contrôle des Nations unies, et de toute façon pas plus tard que le 1er juillet 1976». Devant le silence de Pretoria, peu émue par cette injonction, il faudra le veto des Occidentaux pour empêcher, pour la deuxième fois depuis 1975, l’adoption, en octobre 1976, d’une résolution décidant des sanctions contre l’Afrique du Sud sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations unies au motif que l’action sud-africaine en Namibie constitue une «menace contre la paix».

Cette montée des pressions diplomatiques internationales explique en partie le changement de la politique de l’Afrique du Sud à l’égard de ce territoire officiellement toujours sous mandat. Amorcé en 1975 par John Vorster et continué avec des variantes par le Premier ministre, puis président, Pieter Botha, ce changement vise à préparer une indépendance considérée à terme comme inéluctable. En septembre 1975 est créée la Conférence constitutionnelle de Windhoek (dite Conférence de la Turnhalle). Les cent cinquante-six représentants des différentes ethnies qui composaient cette assemblée, à laquelle la S.W.A.P.O. était invitée au titre de formation politique parmi d’autres, étaient réunis pour mettre sur pied une sorte de fédération des différents bantoustans namibiens qui aurait pris le nom de «république du Sud-Ouest africain/Namibie». Mais la conférence achoppe au cours de ses trois sessions sur différents problèmes. Le projet de création d’un «gouvernement multiracial intérimaire» échoue. Très critiquée à l’extérieur, dénoncée par le Conseil pour la Namibie, condamnée violemment à Maputo (Mozambique), en mai 1977, par une conférence internationale qui adopte solennellement une Déclaration pour la libération de la Namibie, la Conférence constitutionnelle de Windhoek est finalement dissoute, sans résultat concret, en octobre 1977. Entre-temps, en effet, une nouvelle donnée est venue modifier la situation.

Depuis avril 1977, les cinq États occidentaux membres du Conseil de sécurité à l’époque (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Allemagne fédérale et Canada) ont constitué un «groupe de contact» et amorcé une médiation triangulaire entre l’O.N.U., l’Afrique du Sud et la S.W.A.P.O.: une diplomatie discrète, conduite en des rencontres dispersées dans l’espace et dans le temps, qui paraissait proche de la réussite, en décembre 1978, sur la base d’un «plan de règlement occidental». Mais encore une fois c’est l’échec, plusieurs questions n’ayant pu être résolues: l’organisation de la période intérimaire et l’organisation d’élections sous contrôle international, deux points sur lesquels la S.W.A.P.O. a des exigences non négociables; le problème de la présence militaire sud-africaine en Namibie et la création éventuelle d’une zone tampon démilitarisée; enfin, la question de l’enclave de Walvis Bay, seul grand port namibien en eau profonde sur la côte atlantique, que Pretoria n’entend aucunement céder à une Namibie indépendante. Cette zone, qui faisait partie de la colonie anglaise du Cap à l’époque où le Sud-Ouest africain était colonie allemande, fut par la suite réintégrée par l’Union sud-africaine au territoire sous mandat; mais en 1977 Pretoria l’a de nouveau rattachée à la république d’Afrique du Sud. Dans cette affaire, c’est sans doute moins l’histoire évolutive du statut juridique de Walvis Bay que des calculs d’ordre économique et stratégique qui sont déterminants.

4. Dix années de confrontation et de stagnation (1978-1988)

En septembre 1978, le Conseil de sécurité adoptait par 12 voix contre zéro et 2 abstentions (Tchécoslovaquie et U.R.S.S.) sa désormais célèbre résolution 435 qui devait normalement ouvrir le processus de l’indépendance de la Namibie. Cette résolution donnait en effet la base juridique indispensable au plan présenté par le secrétaire général de l’O.N.U. Jamais depuis 1967, date de la révocation du mandat de l’Afrique du Sud par l’Assemblée générale, on n’avait été, semblait-il, aussi près du but. Ce sera, pourtant, un nouvel et complet enlisement durant presque une décennie.

L’activité diplomatique sur les plans bilatéral et multilatéral, poursuivie sans discontinuité, ne réussit pas à débloquer une situation paralysée par les exigences contradictoires et les suspicions réciproques de l’Afrique du Sud et de la S.W.A.P.O. soutenue par ses alliés de la ligne de front. Instrument de référence pour toutes les parties en conflit, la résolution 435 n’en reste pas moins inapplicable et chacun joue son propre jeu.

Sur le terrain, la lutte armée s’amplifie. L’armée sud-africaine, forte de cadres blancs et d’unités noires (South West Africa Territorial Force), est de plus en plus engagée dans le sud de l’Angola en application de la politique dite de «stratégie nationale totale» (T.N.S., Total National Strategy ). Elle y conduit des raids meurtriers, telle l’opération Askari en 1984, contre les bases et «sanctuaires» de la S.W.A.P.O. – en invoquant la légitime défense et un (incertain) «droit de suite» – et finit même par s’établir en permanence dans la zone sensible. Pour Pretoria, il s’agit d’empêcher par tous les moyens les attaques «terroristes» sur le sol namibien et, toujours, de lutter contre la subversion marxiste qu’incarne la S.W.A.P.O. Celle-ci revendique au contraire sa qualité de Mouvement de libération nationale et le label officiel de «seul représentant du peuple namibien» décerné par l’O.N.U. À ce titre, elle bénéficie logiquement de l’aide des pays de la ligne de front, à commencer par celle de l’Angola – lui-même confronté aux «rebelles» de l’U.N.I.T.A. de J. Savimbi – et appuyé militairement par un fort contingent de soldats cubains. À la différence de la confrontation Afrique du Sud-Mozambique qui conserve un caractère régional (ainsi que le démontre l’accord de Nkomati de 1984), l’affrontement Afrique du Sud-S.W.A.P.O.-Angola, dont l’enjeu est l’avenir politique de la Namibie, est devenu un conflit internationalisé avec tous les risques que cela comporte.

Parallèlement à son action militaire de prévention, le gouvernement sud-africain, tout en se proclamant fidèle à l’esprit de la résolution 435, entreprend d’organiser lui-même l’avenir du Sud-Ouest africain-Namibie... à titre provisoire. Occasion pour lui de rejeter sur l’intransigeance de la S.W.A.P.O. le blocage de la situation et de laisser planer (à un moment donné au moins) la menace d’une déclaration unilatérale d’indépendance «à la rhodésienne», ce qui porterait un coup fatal à tous les efforts diplomatiques accumulés jusqu’ici.

À vrai dire, Pretoria ne réussit pas à dégager une «solution interne» namibienne susceptible de constituer effectivement un contre-pouvoir aux prétentions hégémoniques de la S.W.A.P.O. La première tentative, celle dite de la conférence de Windhoek, ayant échoué, Pretoria lance une nouvelle formule: nomination d’un administrateur général sud-africain pour la Namibie (théoriquement concurrent du commissaire désigné par l’O.N.U. au titre de représentant du Conseil pour la Namibie) et mise en place (décembre 1978) d’une nouvelle assemblée multinationale de 75 membres, partiellement élue, et chargée avant tout d’établir une constitution... provisoire.

L’assemblée échoue dans son rôle constituant (alors que la S.W.A.P.O. a déjà publié, elle, son projet de constitution d’inspiration socialiste-marxiste), mais elle est maintenue en tant qu’assemblée législative. En émane un gouvernement multiracial de douze membres (hors la S.W.A.P.O. qui refuse le jeu) au sein duquel la formation dominante dite Alliance de la Turnhalle (D.T.A.), qui réunit 11 partis politiques namibiens sur un total de 23, est dirigée, jusqu’en 1983, par un fermier blanc, Dirk Mudge. Celui-ci démissionne alors car en désaccord avec la ligne politique de Pretoria qu’il estime trop rigide, alors que l’apartheid est pratiquement supprimé en Namibie depuis 1977. C’est dire la complexité du jeu politique, à la fois multiethnique et multipartite, dans un environnement toujours officiellement provisoire...

Après une période (1983-1985) d’administration directe par l’administrateur général pour la Namibie, une nouvelle assemblée transitoire est élue et un cabinet multiethnique de 8 membres mis en place. Ce sont des solutions d’attente régulièrement prorogées, jusqu’au grand tournant de l’année 1988.

5. Naissance de la république de Namibie

C’est donc dans la foulée des accords d’août-décembre 1988 conclus entre l’Afrique du Sud, l’Angola et Cuba qu’est mise en œuvre la résolution 435 de 1978 du Conseil de sécurité dès le 1er janvier 1989 et sous contrôle international: opérations de retraits progressifs des forces armées, y compris les forces cubaines en Angola; installation de postes d’observation aux frontières; élection en Namibie d’une Assemblée constituante multipartite dans un climat politique très calme; adoption enfin d’une Constitution qui ouvre la voie officielle à la naissance du nouvel État, le 21 mars 1990. Au terme d’un demi-siècle de confrontations extrêmes, la création de la république de Namibie s’est opérée presque en douceur, à la surprise de tous les acteurs et observateurs de la vie politique.

La Constitution qui organise un régime de séparation des pouvoirs sur le mode semi-présidentiel, qui affirme les garanties des droits de l’homme et la protection des minorités, et qui instaure la démocratie représentative sur la base du suffrage universel sans aucune discrimination, apparaît, du coup, comme un modèle constitutionnel pour les autres pays d’Afrique australe encore à la recherche d’un point d’équilibre, à commencer par la république d’Afrique du Sud qui est en phase de délicate «transition politique». L’ancien leader de la S.W.A.P.O., Sam Nujoma, est devenu le premier président de la République, conformément aux résultats des élections qui ont donné la première place à son parti sans lui conférer pour autant une domination absolue dans le nouveau système politique. Les références marxistes ont été laissées au vestiaire, et c’est une politique d’ouverture et de collaboration interraciale qui est aujourd’hui mise en œuvre.

Cela n’élimine évidemment pas les problèmes, notamment celui des écarts considérables de revenus entre le Blanc namibien moyen et son homologue noir, et celui de la réforme agraire (redistribution des terres) qui était inscrite dans le programme électoral de la S.W.A.P.O. De même, la jeune république a dû affronter des conflits en matière de pêche dans sa zone économique exclusive et, plus généralement, dans le domaine de la (bonne) gestion administrative et économique du pays, en particulier dans le secteur des mines.

Inversement, la nouvelle république peut se flatter d’incontestables succès dans l’immédiat. La détente politique favorise l’afflux de l’aide étrangère, publique et privée, et conforte la confiance des investisseurs d’autant plus que l’État entend maintenir son contrôle pour la défense de l’intérêt général et ne pas permettre les dérives sociales d’un libéralisme économique débridé. Un accord est intervenu en 1991 avec l’Afrique du Sud pour une gestion commune des port et enclave de Walvis Bay. Le statut définitif de cette enclave économiquement très importante et placée sous souveraineté sud-africaine (l’origine du problème juridique remonte à 1878) était l’un des points de friction, considéré même par Pretoria comme non négociable, au moment des discussions sur l’indépendance. Finalement, Walvis Bay sera «réincorporée» à la Namibie en janvier 1994. Par ailleurs, la Namibie, devenue membre du Commonwealth, a adhéré au club L.B.S. (Lesotho, Botswana, Swaziland), celui des ex-protectorats britanniques d’Afrique australe parvenus à l’indépendance dans les années 1960 et qui, depuis la fin du XIXe siècle, forment avec l’Afrique du Sud une union monétaire et douanière. L’avenir de la Namibie indépendante est donc désormais étroitement lié au devenir économique de l’Afrique australe dans son ensemble.

L’affaire internationale du Sud-Ouest africain/Namibie est définitivement close depuis 1990. Sans préjuger de l’avenir, on notera que depuis trois ans la politique de «réconciliation nationale» prônée par la S.W.A.P.O. – ancien adversaire marxiste irréductible pourchassé durant trois décennies par l’Afrique du Sud dans ses «sanctuaires» du sud de l’Angola, et devenu aujourd’hui parti majoritaire dans le nouveau système politique multipartite – a globalement réussi. Ce pari, risqué – compte tenu de la charge émotionnelle et des intérêts divergents accumulés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans l’affaire du «mandat» sud-africain – montre que rien n’est jamais prédéterminé dans l’histoire des relations internationales.

Ce sont d’abord les hommes, les acteurs politiques et sociaux, qui font le sens de l’histoire. Celle de la Namibie, de 1946 à 1990, le démontre amplement.

Namibie
(anc. Sud-Ouest africain) état de l'Afrique australe, limité au N. par l'Angola et la Zambie, à l'E. par le Botswana, au S. par l'Afrique du Sud et à l'O. par l'océan Atlantique; 824 292 km²; env. 1,7 million d'hab.; croissance démographique: 3 % par an; cap. Windhoek. Nature de l'état: république présidentielle et pluraliste. Monnaie: dollar namibien. Langues off.: angl. et afrikaans. Population: Ovambo (50 %); quelques ethnies de langues bantoues; quelques îlots d'Hottentots et de Boschimans; Blancs (6 %); métis. Relig.: christianisme (80 %, dont 20 % de catholiques), relig. traditionnelles (20 %). Géogr. phys., hum. et écon. - Un haut plateau central, culminant à 2 606 m, groupe l'essentiel de la population. Il retombe à l'O. sur le désert côtier du Namib (lié au courant froid du Benguela) et à l'E. sur la cuvette semi-désertique du Kalahari. Le climat aride, un peu plus humide au N., ne permet qu'une très faible densité (1,5 hab./km²). La population est urbaine à 55 %. L'activité minière domine l'économie (diamants, uranium, cuivre, plomb, zinc, argent, cadmium); l'élevage et la pêche arrivent au second rang. Malgré la sécheresse, la balance agricole est positive. L'hydroélectricité est importante. Le pays reste dépendant de l'Afrique du Sud. Le revenu par hab. est l'un des plus élevés d'Afrique (3 100 dollars par hab.), mais les inégalités demeurent grandes et le chômage frappe durement le pays. Hist. - Les Boschimans occupèrent la région au paléolithique supérieur. Les migrations bantoues se produisirent vers 1500. à cette époque, les côtes furent atteintes par les Portugais. La colonisation allemande débuta en 1883. En 1892, ils créèrent la colonie. De 1904 à 1907, ils réprimèrent brutalement la révolte des Herero (80 000 morts). La colonie fut conquise en 1915 par les Sud-Africains, qui reçurent un mandat de la S.D.N. en 1920. En 1946, l'Afrique du Sud demanda l'annexion du pays, requête rejetée par l'ONU qui, en 1966, révoqua le mandat de Pretoria et plaça la Namibie sous son autorité (théorique). Un mouvement de libération, la South West African People's Organization (Swapo), apparu en 1966, a mené la guérilla, dep. l'Angola, contre le régime mis en place et défendu militairement par l'Afrique du Sud. Un accord fut finalement signé, en déc. 1988, qui prévoyait des élections libres et l'accession de la Namibie à l'indépendance avant avr. 1990, sous contrôle de l'ONU En nov. 1989, les premières élections générales ont donné à la Swapo une majorité (57 % des voix) mais insuffisante pour élaborer seule la nouvelle Constitution. Le 21 mars 1990, la Namibie est devenue indépendante et Samuel Nujoma, dirigeant de la Swapo, premier président de la nouvelle République. En 1994, l'Afrique du Sud a restitué Walvis Bay à la Namibie. Cette même année, S. Nujoma a été réélu.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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